Sans langue de bois...

Le parasite

Il a 30 ans. Il est paraît-il éditeur de jazz. Il tient un restaurant à Tokyo qui se veut français et où il sert des pâtes à la carbonara et au chou. Il range ses bouteilles de vin ouvertes dans un placard, et boit le vin tel quel au fil des semaines.

Il est grassouillet, célibataire et rustaud. Il rentre chez ses parents sans un mot. On nous présente. Je me demande comment je vais tenir toute la soirée assise à côté de ce looser.

J’ai fait la cuisine. Il mange à grand bruit et se ressert. On dirait qu’il ne fait pas attention à ce qu’il mange. Ses parents, eux, trient soigneusement, comme à chaque fois que je cuisine français. Nous n’avons aucune affinité ; il n’en montre rien mais presque six mois au Japon m’ont appris à lire entre les lignes, et je sais instinctivement qu’il en pense la même chose.

Une fois que j’ai fini la vaisselle, je me retourne pour traverser le salon et remonter dans ma chambre. Affalé sur un canapé, le rejeton visionne un film de cul sur le nouvel écran plat de ses parents. Lesquels détournent respectueusement le regard en soufflant sur leurs gobelets de thé trop chauds.

Le mec avance péniblement dans la fille qui a les genoux repliés sur la poitrine. Ça me paraît lent et insoutenable. Je m’en vais après avoir murmuré " bonne nuit ". Comme si de rien n’était, il me répond " Bonne nuit ".

Une heure plus tard, je redescends pour me doucher. Je constate que le chauffage, pour monsieur, est allumé à fond, alors qu’on m’interdit de m’en servir dans cette putain de piaule où il fait dix degrés la nuit et où tout ce qu’on m’a donné est un deuxième édredon. Maman, que je paie 60 000 yens par mois, lui a installé un futon dans la chambre d’amis. Il semble lire. J’entre dans la salle de bains sur la pointe des pieds.

J’essaie de ne pas penser, en me déshabillant, à ce qu’il pense probablement en m’entendant me déshabiller, puis me doucher.

Comme d’habitude, j’essaie d’éviter les poils de cul dans la baignoire où je passe après tout le monde et dégoûtée, je ressors vite. Tant pis si j’ai froid.

Quand je remonte, ma serviette enroulée autour de la tête, je lui souhaite à nouveau bonne nuit. Il me répond en souriant. Pour la première fois de la soirée, il me paraît sympathique.

Il paraît que son ex était Française. Je ne serai pas la prochaine sur la liste.